La mort rode, s’immisce froide, glaciale, sur la scène des Ateliers Berthier. Elle nous prend à la gorge par sa violence, sa brutalité. Alternative sacrificielle en temps de crise financière, elle se concrétise sous la forme du suicide collectif de quatre grecques sexagénaires refusant d’être à la charge d’un Etat à l’agonie. Profondément marqué par ce geste funeste et solidaire que Pétros Márkaris décrit dans son roman Le justicier d’Athènes, le duo italien, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, y puise une matière tragicomique et signe un conte noir, digressif où les rires se mêlent aux larmes.

En bordures d’un immense plateau noir, entièrement vide, à peine éclairé d’un unique néon diffusant une lumière blanche, blafarde, quatre silhouettes apparaissent dans l’ombre. Seulement deux d’entre elles entrent dans la lumière : une femme blonde (vibrante Daria Deflorian) et un homme (singulier Antonio Tagliarini). Le visage fermé, la mine contrariée, ils s’avancent vers le public, s’excusent. Le spectacle n’aura pas lieu. Alors que les rires fusent face à leur maladresse, la comédienne, gênée, tente de justifier leur décision. Ce n'est pas qu’ils ne soient pas prêts, qu’ils n’ont pas travaillé dur, mais il leur est littéralement impossible de jouer. Ils sont comme bloqués, l’indicible, l’intolérable ne pouvant être représenté.

S’affranchissant de leur personnage, les quatre acteurs, l’un après l’autre, nous invitent à une réflexion sur leur métier, sur la société occidentale en perte de repères et sur la crise financière qui asphyxie la plupart des pays européens. Avec humilité, ils racontent leur histoire, croquent ce monde où l’humain est malmené. Par touches discrètes, ils abordent le drame qui les bouleverse et dont ils ont du mal à parler frontalement. Par des images sombres, par des mots bouleversants, ils évoquent ces quatre sexagénaires grecques qui ont préféré mettre fin à leurs jours plutôt que de grever avec leur retraite un peu plus la dette de l’Etat. Se sentant un poids pour la société, pour la médecine, ils ont choisi de partir ensemble en un geste fatal solidaire espérant donner un peu de répits à ce qui restent, aux vivants.
Si l’ombre de ces quatre femmes mortes la main dans la main planent sur le plateau, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini ont préféré s’en servir comme d’un révélateur du monde dans lequel on vit. Loin de vouloir adapter le roman sombre de Pétros Márkaris, Le Justicier d’Athènes, ils ont tenté de comprendre ce que ce terrible fait divers dit de notre société en temps de crise. Brisant le mur invisible entre eux et le public, ils nous prennent à parti, nous questionnent, nous interpellent. Ils nous entraînent dans une ronde fascinante et mortifère, où s’entrecroisent brillamment burlesque, tragédie et poésie.

S’appuyant sur une scénographie des plus minimales, sur une sorte de « non-jeu » vibrant, poignant mêlant l’intime à l’universel, Ce ne andiamo … touche en plein cœur. Le désespoir en point de mire, ce conte moderne et noir sur fond de crise nous pousse dans nos retranchements, nous chamboule dans nos préjugés et nous oblige à enlever nos œillères. Brillant !

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore

Informations pratiques :
Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni est inspiré par une image du roman Le Justicier d’Athènes de Pétros Márkaris
Texte et mise en scène de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini
Avec Anna Amadori, Daria Deflorian, Antonio Tagliarini, Valentino Villa

Jusqu'au 7 décembre 2016
du mardi au samedi à 20h et le  le dimanche à 15h. 
Durée 1h15

Lieux: 
Les ateliers Berthier – Odéon – Théâtre de l’Europe
1, Rue André Suares  - 75017 Paris

Accès :
Métro ligne 12 (Porte de Clichy)

crédit photo : © Elisabeth Carrecchio