Vénéneux, ambigus, les mots instillent une ombre noire, mortifère entre ces deux amis de longue date. Les non-dits, faussement protecteurs, sortent d’un silence trop poli réveillant les rancœurs endormies. En questionnant la nature des sentiments, l’absurdité des relations humaines, Nathalie Sarraute signe un texte acéré et féroce sur une société normée faite de faux-semblants que l’ingénieuse mise en scène de Léonie Simaga souligne parfaitement. Un duel théâtral magistral et envoûtant.

Dans un décor blanc immaculé, adossé au mur de fond de scène, un homme (raisonnable Nicolas Briançon), élégamment habillé, attend, impatient. Il regarde dans les coulisses l’arrivée d’un comparse. Silhouette dégingandée, vêture négligée, un second homme (fascinant Nicolas Vaude) pénètre dans l’arène. Entre les deux individus, l’atmosphère est électrique, tendue. Amis de longue date, il plane entre eux une ombre. C’est en tout cas ce que ressent le plus pondéré des deux. Blessé par cette froideur, il vient demander des explications au second plus exalté.

De cette confrontation où chacun livrera sa vérité, leur amitié s’en verra chamboulée. Faisant tomber les masques de la bienséance d’une société où les relations sont normées, réglementées, nos deux protagonistes vont explorer les rapports humains sous le prisme de l’absurdité. S’en suit un dialogue savoureux et surréaliste parfaitement ciselé par la plume acérée de Nathalie Sarraute. La dramaturge s’amuse des mots, elle leurs donne une couleur, une profondeur singulière qui poussent à la réflexion et résonnent dans nos cœurs. Bien que la joute verbale semble irréelle et abstraite, elle réveille, en chacun de nous, un écho particulier rappelant à nos bons souvenirs des situations vécues. C’est toute la force et la magie de ce dialogue virtuose opposant passion et raison, art et science, bourgeoisie étriquée et dilettantisme bohème.
S’appuyant sur l’étrangeté du propos qui s’intéresse aux maux d’une société asphyxiée par ses règles, Léonie Simaga réinvente cette pièce mille fois jouée en soulignant le surréalisme du texte. En révélant en pleine lumière, les blessures, tues jusqu’à présent, sans céder à une mystification psychologique, elle signe un spectacle vibrant, intimiste et poignant entremêlant magnifiquement rires et larmes. L’ancienne sociétaire du Français a su par ailleurs exploiter parfaitement le jeu et la personnalité des deux Nicolas : l’un (Briançon) sérieux, l’autre (Vaude) fiévreux.

Immergé dans ce huis-clos amical, le spectateur se laisse totalement séduire par la magie des mots. Reconnaissant certains de ses travers, il est happé dans ce tourbillon verbal où amour, amitié, rapport humain, ne tiennent qu’à un fil, un mot : oui ou non. Un moment délicat, hilarant, à savourer à l’aune de ses amis, de ses proches.  

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
 
Informations pratiques
Pour un oui pour un non de Nathalie Sarraute
Mise en scène de Léonie Simaga
Nicolas Briançon, Nicolas Vaude, Roxana Carrara
Décors et lumières Massimo Troncanetti
Costumes de Léonie Simaga

à partir du 18 novembre 2016
du mardi au samedi à 19h et le dimanche à 17H30
Durée 1h

Lieu :
Théâtre de Poche-Montparnasse
75, boulevard de Montparnasse
75006 Paris

Accès :
Métro lignes 4, 6, 12, 13 (Montparnasse-Bienvenüe), sortie n°5 Boulevard du Montparnasse
Bus 96, 95, 94, 92, 91, 89, 82, 58
Parking sous la tour Montparnasse, parking FNAC rue de Rennes
Taxi  station place du 18 juin
 
Crédit photo : © Brigitte Enguérand