Tout est sombre, gris, noir. Enferrés dans un monde apocalyptique et dictatorial imaginé par Enki Bilal, les corps se cherchent avec fougue, se jettent l’un contre l’autre avec la vitalité du désespoir et s’étreignent avec une violence inouïe. Revisitant une de ses premières chorégraphies, Angelin Prejlocaj nous invite au cœur d’une tragédie tant amoureuse, que sociale et politique. Bouleversant !

Un mur de béton gris surmonté d’un mirador encercle la scène. Au sol, côté cour, des corps en haillon sont affalés contre les murs. La musique de Prokoviev retentit et rompt un pesant silence, très vite couverte par un inquiétant bruit d’hélicoptère. Côté jardin, un homme élégamment vêtu de noir, visage sinistre apparaît. La démarche rigide, accompagné de deux gardes, il se dirige vers ces gens de peu qui dorment à même le sol. Il cherche la bagarre. Lui, c’est un Capulet. Les autres sont des Montaigu. Lui fait partie des puissants miliciens qui imposent leur loi, leur dictature aux autres. Eux se sont des SDF broyés par le système politique autoritaire et concentrationnaire.

 Entre ces deux mondes que tout oppose. Il y a Juliette et Roméo. Virginale, naïve, elle est de la caste des puissants. Bagarreur, rebelle, il est de celle des opprimés. Un soir de bal, ces deux êtres vont se rencontrer et vont être dévorés par une passion brûlante qui ne souffre aucun obstacle et rend tout possible. Fougueux, vibrants, ils vont s’aimer avec violence, avec la vitalité de la tragédie imminente.
En 1990, quand Angelin Preljocaj crée ce ballet inspiré de l’œuvre de Shakespeare, il s’inspire fortement des régimes totalitaires de l’Europe de l’Est dont il est originaire. Si le monde a changé, le chorégraphe a su adapter son Roméo et Juliette non seulement au goût du jour, mais aussi à l’actualité. Sur la musique de Prokofiev, il fait danser les corps, les fait tournoyer. Il leur insuffle une violence, une force qui envoûte et bouleverse. En réinventant le mythe de cet amour universel dans une improbable et carcérale Vérone imaginé par Enki Bilal, Angelin Preljocaj nous plonge dans les tourments de la passion où la raison n’a plus de place. Se nourrissant de leur ardant penchant, les deux amants vont oser vivre malgré les autres au delà de la mort. Mouvements amples des SDF s’opposant à ceux saccadés et tranchants des miliciens, harmonies des gestes du couple, fusion des corps, il signe un spectacle intense qui émeut aux larmes.

Oubliant qui Ils sont, s’abandonnant l’un à l’autre, ce Roméo et cette Juliette modernes et intemporels nous touche en plein cœur et nous entraîne dans le tourbillon d’un amour unique et profond. Porté par une troupe de danseurs virtuoses, ce ballet sombre n’a pas pris une ride. Un bijou autant inquiétant que flamboyant, poignant !

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
Informations pratiques : 
Roméo et Juliette d’Angelin Preljocaj
Chorégraphie d’Angelin Preljocaj
Décor d’Enki Bilal
Costumes d’Enki Bilal et de Fred Sathal
Musique Roméo et Juliette de Serge Prokofiev
Son de Goran Vejvoda
Lumières de Jacques Chatelet
Pièce remontée par Youri Aharon Van den Bosch, assistant et adjoint à la direction artistique
Répétitrice Natalia Naidich
Choréologue Dany Lévêque
Avec 24 danseurs
Production Ballet Preljocaj

Lieu :
Théâtre de Chaillot – Salle Jean Vilar
1, Place du Trocadéro et du 11 Novembre
75016 Paris
Jusqu’au 24 décembre 2016
Durée 1h30

Comment y aller ?
Métro Trocadéro (lignes 6 et 9)
Bus 22, 30, 32, 63, 72, 82

Pour Réserver :
par téléphone 01 53 65 30 00
par internet sur le site du théâtre national de danse de Chaillot
Par courrier électronique : billetterie@theatre-chaillot.fr 


Crédit photos : © Jean-claude Carbonne