Les mots brûlent, emplis d’acide et de venin. Ils sont dans la bouche des gens prétendument heureux, des armes d’intense plaisir pour rabaisser les autres, les faibles et les enferrer dans le malheur. Montée par l’ingénieux Clément Poirée, portée par une troupe épatante de comédiens, la deuxième pièce d’Hanokh Levin s’anime en un étrange et hilarant ballet pantomimique et burlesque. Une farce noire fascinante, un bijou cynique et jubilatoire !

Une lumière vive baigne le plateau. Dans un enchevêtrement de portes qui semblent flottées dans les airs, un homme, en pyjama et pantoufles, assis sur le devant de la scène, déguste goulûment un gâteau plein de crème. Il est observé puis rejoint par un homme vêtu d’un costume. Dès les premières phrases, on ressent tout le plaisir jouissif du second à enfoncer le premier, à lui rappeler ce qu’il est, un parasite, un pique-assiette qui, à ce titre, ne peut pas prétendre à un bonheur équivalent sien. Il faut dire que H (Bruno Mairet) vit depuis plus d’une quinzaine d’années au crochet de l’épanoui et prospère Monsieur Boubel (Eddie Chignara).

Malgré tout, malgré les mots acides et acerbes, une étrange complicité unit les deux hommes, comme si le malheur de l’un augmentait le bonheur de l’autre, comme si H était une victime consentante de Monsieur Boubel et de sa famille. Sa femme, la sensuelle Emnopée (Luce Mouchel) n’est pas en reste. Fière de son orgueilleux époux, elle déverse son fiel sur l’apathique H avec une concupiscence réjouissante. Le couple est d’autant plus dur avec le pauvre H, sorte de Tanguy théâtral, que leur fille, l’odieuse et hautaine Fogra (Camille Bernon) est l’enfant parfaite. Intelligente, brillante, imbue d’elle-même et de sa caste, elle s’apprête à convoler en justes noces avec un riche et pédant héritier, Varsoviak (Moustafa Benaïbout). 

La nouvelle est fort douloureuse pour notre parasite qui brûle pour la jeune femme d’un amour secret. S’épanchant de ses déboires sur l’épaule de son lymphatique et cardiaque ami Adash Bardash (Laurent Ménoret), il décide d’en finir avec cette vie triste d’humilié une heure après que Fogra ait épousé son orgueilleux et arrogant fiancé.
De sa plume ciselée, trempée au vitriol, Hanokh Levin fait le portrait assassin d’une société nombriliste et égocentrée qui oppose les nantis aux faibles, les gens heureux à ceux que le malheur accable. Avec un onirisme noir, il dépeint un monde où le bonheur des plus fortunés dépend uniquement du regard des autres et de la jubilatoire humiliation qu’il y a à remettre à leur place les opprimés. Cynique et absurde, le texte n’en est pas moins une fable sombre et hilarante où nul n’est à l’abri d’un faux pas et peut basculer en un instant du camp des chanceux à celui des opprimés.

Clément Poirée, qui succède à la prochaine rentrée théâtrale à Philippe Adrien à la tête du théâtre de la Tempête, s’amuse des mots de jeunesse du dramaturge israélien et tire de cette farce noire, un ballet clownesque où les hommes semblent de sombres pantins que le destin, aux faux airs de Méphisto, malmène et attire vers la fatale condition d’humiliés. Dans cette satire d’un monde qui engendre des monstres sans cœur qui s’enivrent du malheur des autres, les rires sont jaunes et pourtant salvateur et le plaisir, un peu honteux mais tellement jouissif.
Cultivant le burlesque avec passion, il entraîne sa troupe talentueuse de comédiens dans une danse clownesque magnifiquement chorégraphiée. Eddie Chignara se glisse avec malice dans la peau de ce père de famille divinement odieux, terriblement cynique. Luce Mouchel, parfaitement moulée dans une robe verte satinée, campe à merveille cette troublante épouse, mélange singulier entre la femme fatale et la mère dépassée, compassée. Totalement atone, Bruno Blairet est un H fascinant qui vacille mais malgré les mots, les humiliations, et jusque au dernier moment, croit à tort être sauvé par un élan d’amour, un dernier geste d’humanité. Louise Coldefy, enlaidie à souhait, est désopilante. Laurent Ménoret, totalement apathique et léthargique, est un clown triste épatant. Enfin Camille Bernon est parfaite en enfant gâtée et capricieuse qui vendrait père et mère pour un peu plus de paradis.

Laissez-vous tenter. Entrez dans la danse  sombre et drôlatique des humiliés, des laissés-pour-compte, vous serez séduit par cette gourmandise, un brin acidulée, mais terriblement savoureuse.

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
Informations pratiques : 
Vie et mort de H, pique-assiette et souffre-douleur de Hanokh Levin

jusqu’au 5 février
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
(durée 2h10)

Générique : 
mise en scène Clément Poirée
texte français Laurence Sendrowicz 
avec Moustafa Benaïbout, Camille Bernon, Bruno Blairet, Eddie Chignara, Louise Coldefy, Emilien Diard-Detoeuf, Laurent Ménoret et Luce Mouchel
scénographie Erwan Creff
lumières Kévin Briard assisté de Nolwenn Delcamp-Risse
costumes Hanna Sjödin assistée de Camille Lamy
musiques Stéphanie Gibert
maquillages et coiffures Pauline Bry
collaboration artistique Sacha Todorov
régie générale Farid Laroussi
habilleuse Emilie Lechevalier

Lieu : 

Théâtre de la Tempête – Salle Serreau
La cartoucherie
route du Champ-de-Manoeuvre
75012 Paris

Comment y aller ?
En métro
Station Château-de-Vincennes. Sortir en tête de ligne puis prendre :
• la navette Cartoucherie garée près de la station de taxis (départ toutes les quinze minutes environ, premier voyage 1 h avant le début du spectacle) 
• ou le bus 112, arrêt Cartoucherie.

En voiture
À partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche. Entrée parking Cartoucherie, 2e portail sur la gauche.

En vélo
Prendre la piste cyclable de l'avenue Daumesnil puis, au niveau de l'esplanade du Château de Vincennes, la piste longeant la route de la Pyramide (stations Vélib' face aux deux entrées du Parc floral) ; au rond-point, prendre à gauche jusqu'à l'entrée Cartoucherie.

Réserver :
• par téléphone : 01 43 28 36 36
du mardi au vendredi de 11h30 à 13h et de 14h à 18h30
les samedi de 14h à 18h
• sur la billetterie en ligne en ligne du théâtre de la tempête
 
Crédit photos : © Antonia Bozzi