Deux femmes se font face dans un huis clos glaçant, cruel et hilarant. L’une, accorte et enjouée, rêve de décrocher enfin un emploi. L’autre, chétive et austère, cherche la candidate idéale pour la seconder. De ce rapport de force entre offre et demande, entre séduction et répulsion, Côme de Bellescize signe un spectacle percutant et burlesque sur le monde du travail et ses dérives. Une friandise douce-amère terriblement jouissive.

Sur une scène au ton gris, un bureau basique, impersonnel, et une chaise sans âme, froide, servent d’unique décor. Dans l’obscurité, deux silhouettes s’approchent. L’une (fascinante Eléonore Joncquez) est sèche, noire de pied en cap. L’autre (rayonnante Fannie Outeiro) ronde, primesautière. Dans un halo de lumière, la première ouvre le bal. D’une voix froide, détachant les mots, ponctuant de silence chaque phrase, elle vante les qualités de la javel dont elle est l’une des productrices phares, son importance dans la société, son pouvoir nettoyant sur la saleté qu’elle soit physique ou morale. Le ton détaché de toute émotion de ce prélude à l’entretien d’embauche glace les sangs.

Face à cette dragonne fluette, cette sorcière des temps modernes entièrement recouverte d’oripeaux noirs, la postulante semble perdue, totalement démunie. Blonde, charmante, pulpeuse, elle est la totale opposée de la première. Portant chemisier clair sexy et jupe pastel, elle respire la joie, le bonheur. Il faut dire qu’elle a tout pour elle. Souriante, enjouée, elle présente bien. Elle le sait, elle est faite pour ce poste de chargée de communication.

Formatée, elle donne une image lisse, sans accro, presque trop parfaite, irréelle d’elle-même. Ce manque de personnalité finit par agacer l’employeuse. Question après question, cette dernière essaye de faire tomber le masque. Insidieusement, elle cherche les fêlures, les craquelures. Rapidement, l’entretien vire au jeu cruel mêlant singulièrement attraction sexuelle et torture psychologique. Très vite, l’atmosphère devient étouffante, malsaine. Chacune des deux femmes finissant par se mettre à nu au sens propre pour l’une, au sens figuré pour l’autre.
De sa plume acérée et particulièrement en verve, Côme de Bellescize peint avec causticité un portrait au vitriol du monde du travail. Puisant dans sa propre expérience, il se met à nu avec acidité et poétise les dérives. S’attachant au sujet de société comme dans Eugénie ou Amédée, ces deux précédentes pièces, le dramaturge signe une nouvelle farce terriblement noire et ingénieusement burlesque qui décrit avec finesse et malice les rapports de force au travail. Afin de souligner avec humour son propos, il privilégie une mise en scène sobre et décalée et nous entraîne dans un monde sombre, déjanté, onirique.

Cette valse mortifère est parfaitement exécutée par deux comédiennes magistrales. Eléonore Joncquez, méconnaissable, se glisse avec une malignité jouissive dans le rôle de cette femme dure, froide, et mal dans sa peau. Véritable bourreau, terriblement cruelle, elle va jusqu’au bout de son personnage sans cilié un instant. Seule la fragilité de sa victime, finira par la faire naître dans son cœur sec quelques émotions, quelques bouffées de chaleur. Face à elle, Fannie Outeiro est magnifique. Tout en chair, elle incarne avec une facilité déconcertante, la féminité et la joie de vivre. Terriblement naïve, elle se fait avoir par la perfide sorcière. Consentante, elle se laisse déshabiller l’âme et le corps. Elle est sublime et drolatique.

Conte sombre et ubuesque, Soyez-vous même est une fable hilarante qui interpelle avec espièglerie et profondeur  nos consciences. Un bijou intense à découvrir sans tarder.

 Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
Informations pratiques : 
Soyez-vous même de Côme de Bellescize
du 18 janvier au 16 avril 
du mercredi au samedi à 19h15 et 
dimanche à 15h 
durée 1H10 

Générique : 
Texte et mise en scène  : Côme de Bellescize
Avec Eléonore Joncquez et Fannie Outeiro
Régie : Arnaud Prauly
Lumière : Thomas Costerg
Son : Lucas Lelièvre
Composition des chansons :  Yannick Paget
Costumes : Colombe Lauriot-Prévost

Lieu : 
Théâtre de Belleville
94 Rue du Faubourg du Temple
75011 Paris

Comment y aller ? 
Métro
station Goncourt Ligne 11 / station Belleville Ligne 11 et ligne 2
Attention : la station Goncourt est fermée du 1er au 28 février 2017. 

Bus
station Goncourt Bus 46 et Bus 75

Parking
Cambacauto - Parking Temple
83 Rue du Faubourg du Temple 75010 Paris
01 42 41 28 38 - parking.cambacauto.free.fr

Vélib'
2 rue du Buisson Saint-Louis
140 avencue Parmentier
116 bd de Belleville
81 bis rue Jean-Pierre Timbaud

Réserver : 
Par téléphone : 01 48 06 72 34
(tous les jours de 14H à 19H)

 Par internet sur la page du spectacle concerné

par mail  à l'adresse suivante : reservations@theatredebelleville.com

Crédit photos : © Pauline Le Goff