Des parfums étranges et envoûtants, flottent dans l’air, envahissent l’espace. Réminiscences d’un passé révolu ou purs produits de notre imagination, ils nous invitent à un voyage immobile au-delà des murs, dans d’autres lieux, réels ou fictifs. Arrangée avec délicatesse et humour par Anne Bouvier, cette balade olfactive au cœur des sens nous touche au cœur et nous ensorcelle. Porté par une Clémentine Célarié, radieuse, poignante, et un Pierre Cassignard, tout en retenue fiévreuse, ce singulier moment de théâtre ne demande qu’à vous enivrer sans retenue. Saisissant.

Dans un écrin gris foncé, une silhouette élégante de femme se dessine en ombre chinoise derrière des voilages de même couleur. Cheveux relevés, robe ajustée cachée par un immense gilet de cachemire, Claire (lumineuse Clémentine Célarié) apparaît en pleine lumière. Chercheuse au CNRS, elle vit au rythme de la maladie qui ronge les facultés motrices, puis les sens de son fils, Darius. Alors que tout espoir est vain, que la fatale issue est inéluctable, elle décide dans un baroud d’honneur de se débarrasser du superflu, en l’occurrence une maison de vacances, pour offrir un ultime cadeau au fruit de sa chair : une balade immobile au pays de l’odorat. Elle espère ainsi stimuler sa mémoire en lui faisant revivre des voyages passés grâce à un mélange choisi de senteurs.

Pour cette singulière expérience, elle a besoin d’un nez. Tout logiquement, elle s’adresse à Paul (bourru et sensible Pierre Cassignard), un parfumeur reconnu dont les savantes fragrances l’accompagnent depuis qu’elle est femme. Dans une lettre pragmatique, sans sentimentalisme, elle lui propose contre une forte somme d’argent de créer pour son fils et elle des parfums uniques en rapport avec des lieux qu'il  a visités. Ce dernier hésite, depuis la mort de sa femme il a fermé boutique et n’a plus remis les pieds dans son atelier. Le défi le titille pourtant. La rencontre forcée avec Claire et son fils changera la donne.

Commence alors un échange épistolaire mêlant senteur, sensation et émotion où fiction et imagination finiront par faire oublier le temps d’un instant la dure et fatale réalité. Avec finesse et ingéniosité, Jean-Benoît Patricot, lauréat du prix Durance-Beaumarchais SACD 2014, s’empare d’un sujet délicat, la perte programmée d’un enfant, le combat d’une mère pour éclairer ses derniers jours. Loin de tout misérabilisme, de toute sensiblerie, il nous entraîne dans une quête étonnante au cœur de nos propres souvenirs. Comme Patrick Süskind en son temps avec Le Parfum, il réussit l’étonnant prodigue de stimuler notre odorat, comme celui de Darius, en lui offrant rien qu’avec les mots un panel de senteurs.

 Avec une infinie délicatesse, Anne Bouvier souligne, par sa mise en scène simple et joliment soignée, la beauté de ce récit bouleversant et infiniment drôle. Loin des stéréotypes, elle s’attache à donner vie aux mots et aux senteurs. Situant l’action autour d’un magnifique orgue à parfum en bois, jouant des espaces délimités par des voilages sombres et des différences de niveaux, elle réussit, grâce à l’épatante scénographie d’Emmanuelle Roy et les lumières de Denis Koransky, à donner l’illusion que ses comédiens ne se croisent jamais. L’effet est fascinant.

Pour jouer ces deux personnages blessés par la vie, Anne Bouvier ne pouvait mieux trouver que Clémentine Célarié et Pierre Cassignard. Voix suave, reconnaissable entre mille, elle est cette mère courage que le précipice guette, mais qui jamais ne vacille, soutenue par la présence éblouissante de son fils. Rayonnante sur scène, elle nous embarque avec une grâce inouïe dans une quête olfactive. Drôle, touchante, hargneuse, elle éclaire la pièce d’une douceur, d’une incandescence singulière. Le ton rauque, chaud, il est ce parfumeur neurasthénique, handicapé des sentiments, qui vit dans ses souvenirs. Il faudra toute la force de cette femme volontaire, de ce jeune adulte lumineux aux portes de la mort, pour enfin lui redonner le goût de la vie. Poignant, fébrile, il nous emporte dans ce monde fait de souvenirs et d’illusions. Un duo intense qui séduit et bouleverse.

Loin des Clichés et des sentiers battus, Darius est une magnifique ode à la vie, un parfum entêtant qu’on a un plaisir fou à humer, un moment à savourer avec délice. Emotions et rires garantis.

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore

Informations pratiques : 
Darius de Jean-Benoît Patricot
Jusqu'au 30 avril 2017
Du mardi au samedi à 19 et le dimanche à 18h.
durée : 1h20

Générique : 
Mise en scène Anne Bouvier
Avec Clémentine Célarié et Pierre Cassignard
Scénographe-plasticienne Emmanuelle Roy
Musique Raphaël Sanchez
Lumières Denis Koransky

Lieu :
Théâtre des Mathurins
 36 Rue des Mathurins
75008 Paris

Comment y aller ? 
Métros : stations Havre-Caumartin (lignes 3 et 9), Madeleine (lignes 8, 12, 14) ou Saint-Lazare (lignes 3, 12, 13, 14).
RER : stations Auber (ligne A) ou Haussmann/Saint Lazare (ligne E).
Bus : Toutes les lignes desservant la gare Saint Lazare, ainsi que la 80, 94 et 95.
Parking : Haussmann Printemps ou Madeleine-Tronchet

Réserver : 
Par téléphone du lundi au samedi, de 11h à 19h au 01 42 65 90 00
Par internet sur le site dédié aux réservations - Théâtre des Mathurins du théâtre des Mathurins

Crédit photos : Richebé