Tout est noir, sombre, obscur. Tout respire la mélancolie, l’affliction. Le pays est en guerre, le peuple exsangue, et la princesse a perdu son vieux fou. Un évènement heureux et un personnage de conte de fées vont réveiller ce monde léthargique, engourdi, en le peignant aux couleurs de l’arc-en-ciel dans un final aux allures de feu d’artifice. En enfant terrible et prodigieux du théâtre et de l’opéra, Thomas Jolly insuffle ingénieusement la vie dans cette œuvre oubliée d’Offenbach. Un coup de maître fascinant, une réussite ovationnée chaleureusement.

Un voile noir, gonflé par une souffleuse, cache le plateau qui laisse transparaître une unique lumière. De la fosse, des notes s’envolent et rompent le silence. Puis la scène se dévoile, sombre, obscure, laissant apparaître un groupe immobile de personnes, habillées de vêtements gris, tristes. Deux panneaux faiblement éclairés annoncent que le pays est en guerre. En un mouvement, la place de la ville se vide. Un immense obturateur photographique s’ouvre laissant entrevoir au loin la silhouette noire d’une énorme bâtisse médiévale rappelant étrangement celle du château féerique de Neuschwanstein. De la porte, s’échappent deux hérauts en livrée claire ayant à la main de nouvelles affiches annonçant le mariage de la princesse Elsbeth (flamboyante Marie-Eve Munger) avec le clownesque et gauche prince de Mantoue (cocasse Jean-Sébastien Bou) pour sceller la paix.

Alors que le peuple en liesse se prépare à la fête, la jeune princesse se languit en son palais. La mort récente du Bouffon du Roi l’a plongée dans une affliction mélancolique que rien ne semble empêcher. Un jeune homme couvert de dettes répondant au nom de Fantasio (épatante Marianne Crebassa), persécuté par les huissiers, décide, le temps de laisser passer l’orage de se glisser dans le costume bariolé du fou qui amuse la cour. Un soir, à la faveur de la pénombre, ces deux êtres vont sans se voir, juste au son de leurs voix, se laisser prendre au jeu de la séduction. Décidé à sauver sa belle d’un mariage désastreux, Fantasio est prêt à mille fantaisies, à déclencher par bravade une nouvelle guerre.
Tombé dans l’oubli dès sa création, Fantasio d’Offenbach renaît littéralement de ses cendres grâce au travail acharné de Jean-Christophe Keck, spécialiste du créateur de l’Opéra bouffe et a l’ingéniosité de Thomas Jolly. Aimant les défis, s’intéressant aux pièces moins connues du répertoire, le jeune metteur en scène a accepté le défi proposé par Olivier Mantei, le directeur de l’Opéra-Comique de monter cette œuvre mêlant habillement bluette romantique, conte tragique et manifeste politique. Aidé par la magnifique et poétique scénographie de Thibaut Fack, il nous plonge dans un monde obscur, triste que seule une douce et singulière folie portée par les ailes de l'amour peut enfin coloriser et embellir. Après une première partie qui s’étire en longueur, le temps d’installer l’histoire et les personnages, l’œuvre gagne en puissance dès l’entrée en scène de Fantasio et prend enfin son rythme de croisière. Se libérant des contraintes de l’opéra, Thomas Jolly s’amuse à mélanger les genres et les styles. Prenant les codes de la comédie musicale, il signe un opéra comique intense, drôle et pétillant.
Sous la direction énergique et fine de Laurent Campellone, l’Orchestre philarmonique de Radio France redonne vie à la partition d’Offenbach et souligne les voix ensorceleuses des chanteurs. Si faute de micro, volonté de Thomas Jolly, on peut regretter que certaines voix ne portent pas suffisamment, on se laisse totalement séduire par ce duo de femmes. Marie-Eve Munger, sorte de « mix » entre la princesse Disney d’Il était une fois…, incarnée à l’écran par Amy Adams, et la mythique Elisabeth de Bavière, devenue Sissi, impératrice d’Autriche, nous envoûte de son timbre de soprano léger. Bouleversante quand elle pleure son bouffon, elle devient malicieuse, rebelle au contact de Fantasio. C’est la surprenante Marianne Crebassa qui se glisse avec une aisance confondante dans la peau de ce jeune homme lunaire, mélancolique et débauché. Accentuant les graves de sa tessiture, elle irradie littéralement la scène. Homme ou femme, joyeuse ou mélancolique, elle joue sur l’ambiguïté de son personnage et ouvre, pour notre plus grand plaisir tout le champs des possibles.

Face à ces deux astres flamboyants, le reste de la troupe est au diapason et nous emporte dans un tourbillon d’intrigues et de faux-semblants qui finit magistralement dans une explosion de couleurs contrastant avec la noirceur des décors. Avec intelligence et espièglerie, Thomas Jolly nous invite à une fête grandiose qui unit en un tout féerique et burlesque les arts vivants. Une fantaisie sombre et poétique à voir sans attendre.

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
Informations pratiques :
Fantasio de Jacques Offenbach d’après un comédie en deux actes d’Alfred de Musset et un livret de son frère Paul
du 12 février au 27 février 2017
durée 2h50 avec entracte

Générique :
Mise en scène de Thomas Jolly
Direction musicale de Laurent Campellone
Avec Marianne Crebassa, Franck Leguérinel, Marie-Eve Munger, Jean-Sébastien Bou, Loïc Félix, Alix Le Saux, Philippe Estèphe, Enguerrand de Hys, Kevin Amiel, Flannan Obé, Bruno Bayeux et le Chœur Aedes
Orchestre Philharmonique de Radio France
Décors de Thibaut Fack
Costumes de Sylvette Dequest
Lumières d’Antoine Travert et de Philippe Berthomé

Lieu :
Théâtre du Châtelet en collaboration avec l'Opéra-Comique
1, Place du Châtelet
75001 Paris

comment y aller ?
en métro : station châtelet (lignes 1-4-7-11-14)
en RER : station Châtelet - Les Halles Lignes (A-B-D)
en Bus : station Châtelet (Lignes 21-38-58-67-81-85)
en Vélib : Station n°1002 - 14, avenue Victoria Station n°1003 - 7, Rue Saint Denis
Station n°4018 - 1, Rue Saint Bon
Station n°1010 - 10, Rue Boucher
Station n°4017 - 7, Place de l'Hôtel de Ville
Station n°1009 - 14, Rue du Pont Neuf
en Autolib : stations 17 Avenue Victoria, 75001 Paris ; 3 Rue des Halles, 75001 Paris ; 14 rue Bertin Poirée, 75001 Paris
en voiture : Parking Q-Park Rivoli - Pont-Neuf: Forfait à 7 € (coupons en vente aux caisses du Théâtre).
Parking Hôtel de Ville : Forfait spécial soirée à 7 euros (entrée par le quai de Gesvres).
Tarif préférentiel aux parkings suivants sur présentation de votre place du Théâtre du Châtelet. Pensez à faire valider votre coupon avant d'entrer dans la salle (aucun coupon ne sera validé après le début du spectacle).

Réserver :
par téléphone : 01 40 28 28 40 (théâtre du Châtelet) - 08 25 01 01 23 (Opéra-Comique )
par internet : sur le site dédié de l'Opéra-comique