Les mots sont scandés. Le souffle est court. Au sol, une comédienne en état de grâce porte de sa voix grave le monologue puissant, âpre de Remi de Vos. Elle dit l’indicible, conte la banalité du mal qui autorise toutes les violences sous couvert de différence, d’anormalité. Transcendée par la mise en scène dansée, ciselée, de Christophe Rauck, Juliette Plumecocq-Mech irradie tout simplement la scène. Bouleversant !

C’est une scène de crime qui nous accueille. Dans la pénombre, on devine un corps allongé. Les contours de cette silhouette inerte sont marqués à la craie blanche, comme si des policiers venaient de fixer à jamais l’empreinte funeste de cet homicide, stigmate des petites violences du quotidien. Doucement, la forme humaine se meut. Elle entre dans une sorte de transe, de chorégraphie au ralenti, mais jamais ne quitte ce sol où sa vie s’est éteinte un soir comme n’importe quel autre. 

Lentement, elle semble renaître, comme si son âme venait hanter les lieux, tenter de comprendre comment alors qu’elle ne demandait rien à personne, qu’elle buvait tranquillement sa bière dans un bar désert, elle s’est retrouvée au pied d’un mur, inanimée. De sa voix grave, où les mots se détachent mollement, elle plonge dans ses derniers souvenirs. La parole se délie et nous prend en témoin. Elle questionne l’incompréhensible, l’inconcevable, l’indicible. 

Corps androgyne, Juliette Plumecocq-Mech laisse longtemps planer le doute. Est-elle femme, homme ? hétero ou homo ? Finalement, peu importe, car l’important est l’image qu’elle renvoie dans l’esprit étroit de son agresseur. Hors norme, elle réveille les pires démons de cet homme rustre, brut. Sa différence, ce qu’elle fait de sa vie, ne concerne qu’elle, et pourtant, c’est cette liberté qui déclenche les vils instincts de l’autre, l’homme, le macho, fier d’être dans le cadre. 
Calant sa respiration sur le texte rugueux, poétique, de Rémi De Vos, tantôt calme, tantôt haletante, Juliette Plumecocq-Mech s’empare de cette voix d’outre-tombe, de cette course effrénée vers la vérité, la survie. Imposant à son corps les brimades qu’impose l’écrit ciselé du dramaturge, elle vit les mots, en incarne le sens. Tel un chef d’orchestre, Christophe Rauck n’a plus qu’à faire chanter, jouer, danser cette comédienne virtuose. Parfaitement resserrée, précise, sa mise en scène souligne parfaitement la beauté du texte et le talent de cette artiste éblouissante, extraordinaire. 

Plantant ses yeux dans ceux des spectateurs, l’être disparu cherche une réponse : qu’aurions-nous fait à sa place ? Comment aurait-on réagi face à cette homophobie ordinaire, cette banalisation de la violence ? Comment accepter cette intrusion violente dans le quotidien uniquement motivée par le refus de la différence ? Au de-là des mots, Remi de Vos questionne nos sociétés et en signe un portrait acide, peu flatteur. Un moment de théâtre puissant, un uppercut au cœur de la pensée unique, du conservatisme, une dénonciation de cette parole honteuse que la manif pour tous a tenté de légitimer au nom de croyances ancestrales, rances. Bravo !

Informations pratiques : 
"Toute ma vie j'ai fait des choses que je savais pas faire", de Remi De Vos
jusqu'au 4 février 2018
du mardi au samedi à 20h30 & le dimanche à15h30 - relâche : les lundis et le 14 janvier
Durée 45 min

Générique : 
Mise en scène de Christophe Rauck
Avec Juliette Plumecocq-Mech
Son de David Geffard
Lumières de Bernard Plançon
Collaboration chorégraphique : Claire Richard

 
Lieu : 
Théâtre du Rond-Point – salle Roland Topor
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris

Comment y aller :
Métro : Franklin D. Roosevelt (lignes 1 et 9)
ou Champs-Élysées Clemenceau (lignes 1 et 13)
Bus : lignes 28, 42, 73, 80, 83, 93
Vélib’ stations les plus proches : n° 8031 > 2 rue Jean Mermoz
n° 8039 > 6 rue du Colisée, n° 8013 > 24 rue de Marignan
n° 8030 > 25 rue Bayard
Autolib’ stations les plus proches : 7 Rue François 1er, 38 Rue François 1er, 2 Avenue Matignon
Parking 18 avenue des Champs-Élysées
ou 17 avenue Matignon

Réserver :
Sur place : du mardi au samedi de 12h à 21h (réservation jusqu’à 19h) / le dimanche de 12h à 16h
par téléphone au 01 44 95 98 21 : du lundi au samedi de 11h à 19h / le dimanche de 12h à 16h
par internet sur le site dédié du théâtre du Rond-Point

Crédit illustration de l'Affiche : © Stéphane Trapier
Crédit photos : © Simon Gosselin