Une mélopée de mots scandés résonne sous la voûte du Vieux-Colombier. Tantôt litanie, tantôt ritournelle, la musique de Lagarce captive et nous entraîne au plus prés de cinq cœurs de femmes éplorées qui vivent dans l’attente du retour du fils, du frère prodige. Souligné par la mise en scène cadencée de Chloé Dabert, le texte du dramaturge français prend vie porté par cinq comédiennes virtuoses.

Dans une maison faite de mur de tulle blanc, imaginée par Pierre Nouvel, où chaque cloison transparente permet d’épier l’autre, cinq femmes survivent. Toutes liées par le sang, elles attendent dans une sorte de désespoir presque bienheureux que l’unique héritier, le dernier mâle de la famille revienne enfin au bercail. Chassé par le père autoritaire mort depuis, le jeune homme, qu’on ne verra jamais, peut enfin passer à nouveau le pas de la porte. Tout est prêt pour ce retour providentiel. Rien n’a changé, sa chambre est la même, l’amour de sa mère (épatante Clotilde de Bayser), de ses sœurs, de la plus vieille (impériale Cécile Brune) de ces êtres isolés aussi.
Devant la porte d’entrée, l’ainée des filles (lumineuse Suliane Brahim) attend inlassablement tous les soirs qu’une ombre emprunte le chemin qui mène à cette maison isolée. De sa voix douce, elle conte cette vie d’expectative, d’espoir et de doute. Puis, ce sont les autres âmes mortes de cette demeure qui mêlent leur mélopée à ce requiem. Toutes, l’une après l’autre, elles parlent de leur attente, de leur existence en suspens, de cette vie à jamais finie ce jour d’orage où père et fils se sont déchirés. Elles espèrent bien sûr une vie meilleure, ailleurs, loin de ce mausolée, de ce tombeau. Lucides, clairvoyantes, elles savent pourtant que ce dernier chant d’amour, scellera le tragique et mortifère destin.

Loin de tout préconçu, Chloé Dabert s’approprie le conte noir de Jean-Luc Lagarce et en réinvente les contours. Tout en gardant la douce et poétique mélancolie, elle opte pour une scansion, une rythmique qui accentue l’espérance et tourne le dos à la tristesse, à l’apitoiement. Laissant de côté le ton de pleureuses, des veuves, elle donne vie à cette maison de poupées fantomatiques qui n’est pas sans rappeler en négatif celle de Bernarda Alba dépeinte par Federico Garcia Lorca, montée il y a deux ans au Français par Lilo Baur.
Si l’on peut regretter de perdre la noirceur âpre, rude si présente chez le dramaturge français, dans cette adaptation colorée qui ne craint pas les ruptures de cadences imposées par les mots, les phrases répétées de Lagarce, on se laisse séduire par ce quintet de femmes : en tête, Cécile Brune poignante en aïeule à la voix envoûtante et Clotilde de Bayser, en mère possessive, accablée ; en second, Suliane Brahim lumineuse en femme libre enchaînée à ce frère invisible et Jennifer Decker en feu-follet virevoltant pris au piège de ses désirs, de sa passion brûlante pour ce presque jumeau perdu à jamais ; enfin, Rebecca Marder en petite sœur négligée de n'avoir que peu connu cet exilé parent.

Bien que fort dérouté au premier abord par cette relecture de Lagarce, on finit par chavirer tout à fait dans la beauté poétique, rude du texte entonné avec délicatesse et ardeur par ce chœur sombre d’êtres abattus, affligés, délaissés. Un moment de théâtre singulier qui charme sur le long cours.
Informations pratiques :
J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne de Jean-Luc Lagarce
Jusqu’au 4 mars 2018
Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h et le dimanche à 15h
durée estimée 1h30
générique :
Mise en scène de Chloé Dabert
Avec Cécile brune, Clotilde de Bayser, Suliane brahim, Jennifer Decker & Rebecca Marder
Scénographie de Pierre Nouvel
Costumes de Marie La Rocca
Lumières de Kelig Le Bars
Musique de Lucas Lelièvre
Collaboration artistique : Sébastien Eveno

Comédie-Française – Théâtre du Vieux-Colombier
21, rue du Vieux Colombier
75006 Paris
Comment y aller ?
Bus 39, 63, 68, 70, 83, 84, 86, 87, 95, 96
Métro station Saint-Sulpice ligne 4, station Sèvres-Babylone lignes 10 & 12
Parkings Place Saint-Sulpice, Sèvres-Babylone, Saint-Germain-des-Prés
Réserver ?
Location 01 44 58 15 15
du mardi au samedi 11h-13h30 et 14h30-18h
Fax location 01 42 60 35 65
site internet de la Comédie Française - réservation
Crédit photos : © Christophe Raynaud de Lage