Des images étonnantes, oniriques, s’impriment sur nos rétines ébahies. Des sons étranges nous bouleversent ou agressent nos tympans, c’est selon. Des mots se mêlent insolites, surprenants, et révèlent la pensée d’une âme pure, celle d’une jeune poétesse autiste. En construisant son spectacle autour des poèmes de Babouillec, Pierre Meunier et Marguerite Bordat signent une œuvre hors du temps, envoûtante, qui dépasse la raison. Une expérience à tenter sans tarder.

Dans un silence irréel, quatre silhouettes, trois hommes et une femme en des blouses de techniciens ou d’ingénieur d’un service de recherche et développement, errent dans un espace curieusement compartimenté par des cloisons transparentes en plexiglass. Dans cette sorte d’atelier improvisé, une étrange danse se met en branle. Les panneaux décollés du sol virevoltent, passent de main en main, de tête en tête, avant d’être rangés dans les coulisses à vue. Puis, c’est le souffle asthmatique d’une étrange machine, cachée sous des couches de film plastique à bulle qui fait son entrée sur cet étonnant plateau. Un vacarme assourdissant provoqué par le musicien de notre surprenant quatuor (échevelé Jean-François Pauvros) clôt cette rêverie industrielle et onirique. Il est annonciateur des premiers mots prononcés par Pierre Meunier.

Attention, ce n’est pas aussi simple de se laisser emporter par la poésie de Babouillec, de pénétrer les profondeurs de son âme, de ses pensées. Il y a tout un travail préparatoire durant lequel, le spectateur déconcerté doit apprendre à se laisser faire, à lâcher prise avec le réel, le concret. C’est en tout cas ce qu’ont imaginé les deux metteurs en scène, Pierre Meunier et Marguerite Bordat. Avec l’aide d'autres artistes, dont le comédien Freddy Kunze et la chorégraphe Satchie Noro, ils ont créé un véritable décorum mêlant burlesque et onirisme. Ainsi, une mélodie harmonieuse est aussitôt remplacée par un bruit strident, des objets de chantier, tels que des tubulures de métal ou une gigantesque mèche en acier, perdent leur fonction pour devenir des accessoires gracieux, des outils permettant d’impressionnantes acrobaties.

Ainsi, une coupure d’électricité vient interrompre cette première tentative de faire retentir le long poème de l’étonnante jeune femme. Nous ne sommes pas prêts à recevoir ses mots tout droit sortis du silence dans lequel est enfermée sa limpide pensée. Nous devons encore laisser derrière nous toutes nos normes, tous nos préjugés, nous libérer du carcan sociétal qui emprisonne nos âmes. Une nouvelle série de loufoqueries nous attend, tour à tour insolites ou lyriques. Une immense et capricieuse centrale électrique aux fils emmêlés avalera un comédien. Puis, un énorme câble en acier suspendu dans les airs se transformera en agrés de fortune. Tous ces artifices n’ont qu’un seul et unique but servir d’écrin au texte de la jeune trentenaire. Ils en sont l’écho physique permettant de mieux plonger dans son univers singulier.
Diagnostiquée autiste, très jeune, Babouillec, de son vrai nom Hélène Nicolas, est restée emmurée dans le silence plus de 20 ans. Il a fallu toute la détermination d’une mère pour qu’enfin elle puisse s’exprimer grâce à l’assemblage de lettres de plastique. Très vite, elle a montré une capacité surprenante à construire des textes d’une rare force à la fois très concret et très conceptuel. De cette matière brute, avec ingéniosité et malice, Pierre Meunier et Marguerite Bordat ont su tirer un spectacle hors norme, bouleversant qui en fascinera plus d’un et  en laissera d’autres à quai.

Porté par quatre artistes improvisateurs de grand talent, Forbidden di Sporgersi, mots tirés du long texte Algorythme éponyme de la jeune poétesse, est un ovni surprenant où la brutalité et la violence du monde extérieur, hostile, sont entrecoupées d’images dont la beauté coupe le souffle. Pris au piège de ces plaques transparentes de plexiglass, comme l’est l’esprit de Babouillec dans son autiste, on se laisse saisir par autant d’intelligence et de lyrisme. Les rires cristallins de la jeune femme qui résonne dans la salle nous captivent définitivement. Un surprenant bijou à découvrir au plus vite.

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore 
Informations pratiques :
Forbidden di Sporgersi, un projet théâtral de Pierre Meunier
jusqu’au 28 février 2017
du lundi au samedi à 20h30
durée 1h30

Générique :
spectacle conçu & imaginé avec Marguerite Bordat
à partir du texte Algorithme Éponyme de Babouillec
une fabrication collective avec Freddy Kunze, Pierre Meunier, Satchie Noro, Jean-François Pauvros
lumières de Bruno Goubert
son de Hans Kunze en collaboration avec Géraldine Foucault
construction de Pierre Mathiaut

Lieu : 
Théâtre de la Ville – Théâtre des Abbesses
31, Rue des Abbesses
75018 Paris

Comment y aller ? 
En métro :  station Abbesses (ligne 12) ou station  Pigalle (lignes 2, 12)
En bus : station Abbesses (lignes 30, 54, 67 ou Montmatrobus)
En voiture  
parking Clichy Montmartre, rue Caulaincourt
parking Anvers, place Anvers
En vélib
2 rue de la Vieuville (station 18004); 
36 boulevard de Clichy (station 18042), 
35 rue Véron (station 18114)

Réserver : 
par téléphone
:  01 42 74 22 77  
par internet
: sur le site dédié du théâtre de la Ville

Crédit photos : © Christophe Raynaud de Lage